Atelier d'écriture

Le champ des flamands roses

Essayer de rendre gaie une photo lugubre. Quels souvenirs joyeux peut-on avoir en voyant une image pareille ? Lisez donc, et vous verrez bien !!! D’autres amis ont écrit sur cette même photo. Il s’agit de l’atelier 303 de Leiloona.

Comme d’habitude, vos commentaires sont les bienvenus. 


 

Photo : Vincent Hequet

« Attends, tu rigoles, vous allez pas partir comme ça, j’ai un truc de ouf à te montrer, je suis sûr que tu n’as jamais vu et que tu ne te souviens pas.

Et Maxime sortit une photo en noir et blanc, lugubre, représentant un paysage de plaine, morne plaine comme disait Victor. Sur le devant, une espèce de piquet avec un sac poubelle déchiré en guise de fanion. Puis, un peu plus loin, un deuxième, visiblement identique.

– Alors, ça te dit ?

Pour me donner une contenance et l’air de réfléchir profondément, je repris mon mug et me mis à souffler sur la fumée qui s’échappait de mon thé à la violette. Patricia regarda aussi.

– Non, comme ça, ça ne me dit rien.

– Cherche bien, on avait dix-huit ans.

– Ben non, vraiment rien, je t’assure. Ça a l’air sinistre. Ça devrait me dire quelque chose ? Je suis allé là-bas ?

– Un peu que tu y es allé.

– Toi aussi ?

– Bien sûr, on y était ensemble ! Pas toi, Pat, tu n’étais pas là à l’époque.

Patricia sourit.

– C’était le bon temps, les gars, sorties entre mecs, mais dis donc, vous avez pas dû rigoler là bas, ça n’a pas l’air joyeux…

Maxime se leva.

– Attends, je vais te donner un indice.

Et il se dirigea vers la platine vinyle et posa le bras sur la galette noire qu’il avait déjà installée. Il avait prévu son coup le bougre !

Dès les premières notes, le images me revinrent en mémoire. Instantanément. Une évidence !

Imaginez la scène immense entourée des murs d’enceintes noires crachant un son à faire péter les tympans. Des basses énormes qui nous faisaient vibrer de la tête aux pieds pendant que l’on dansait les bras levés, les cheveux battant sur les épaules. Oui oui !

Les jeux de lumière de mille couleurs. Non, ce n’étaient pas les lasers et les éclairages de maintenant. Ils étaient beaucoup moins sophistiqués, mais pour l’époque, c’était tout juste magique. On en prenait plein les yeux.

Et puis cette musique… et ce son jamais égalé. La voix de David Gilmour, la basse de Guy Pratt, la batterie de Nick Mason. Ces chansons comme on n’en fait plus. Comme eux seuls étaient capables d’en faire.

Maxime me regardait. Il avait compris que j’avais compris.

Pink Floyd. Milieu des années soixante-dix. Avant qu’ils ne se lancent dans leurs immenses concerts dans des stades ou des arènes. Un petit festival en Belgique dans la proche banlieue d’Anvers. J’y étais allé en stop avec ma copine de l’époque. On avait rejoint Maxime qui était là-bas depuis trois ou quatre jours, de retour d’Allemagne où il avait passé une semaine chez des copains Hippies.

– Merde. Les Floyds. Le concert du siècle. 74. Incroyable. Ça y est, le flash me revient. Mais cette photo , c’est quoi ?

– C’est le champ du concert, trois jours avant. Juste avant l’installation de la scène et de tout le bordel. Le piquet là sur le devant, c’est le coin de la scène. Et nous, on était par-là, bien loin ajouta Maxime en montrant le bord droit de la photo.

Un bond de plus de quarante ans en arrière. Carole, la bière, le shit, le camping sauvage, nos dix-huit ans, la musique, pas de soucis, que du bonheur d’être jeune. Et Pink Floyd. Indétrônable, à jamais dans mon cœur. Tout revenait en un instant.

– Tiens, dis-je à Maxime en posant ma tasse, file moi donc une bière et monte un peu le son, c’est si bon… »


A noter au passage que le titre des Flamands roses n’était pas au départ un jeu de mot avec le pays flamand, mais bel et bien une faute d’orthographe (flamand au lieu de flamant). Le texte original se passait aux Pays-Bas dans la banlieue de Rotterdam. L’intervention tout à fait justifiée de Loïc dans les commentaires a fait déménager ce concert en Belgique flamande, donnant ainsi l’impression que je suis un subtil amateur de calembours. Ce qui est le cas, mais là, je n’y suis pour rien…

 

 

© Amor-Fati 7 mai 2018 Tous droits réservés. Contact : amor-fati@amor-fati.fr

19 Comments

  • Le Dû Loïc

    En voyant « flamands » et une morne plaine j’ai d’abord pensé à Waterloo et à quelque lendemain de reconstitution de bataille. Mais pourquoi « roses » ? Et Waterloo est en Wallonie. Avant de comprendre qu’il s’agissait bien de « flamants ». Les vieux réflexes de correcteur de dictée sont tenaces. Toujours habile pour nous mener sur de fausses pistes, Jean-Marc.

    • Amor-Fati

      Tu as raison. Je vais modifier le lieu… ça ne se passera plus aux Pays Bas mais en Belgique… ou comment retomber sur ses pieds après une boulette… merci…

  • Amor-Fati

    Commentaire de ma maman reçu par sms.
    Bravo pour ton texte dément pour une photo guère engageante. Tu es vraiment d’un caractère optimiste. Bonne journée.

  • Tara

    De la nostalgie insouciante et gaie en contrepoint d’une image plombante, bel exercice ! Ou comment fouiller dans nos bons souvenirs peut éclairer une journée grise.

  • Claude

    Ça fait du bien de lire ton texte en regardant la photo. Elle prend une nouvelle valeur. Une nostalgie que je partage avec toi. Tiens, je vais me mettre un disque… Merci.

  • laurence

    Joli moment évoqué et pas des moindres ! Pink Floyd en concert, waouh ça fait rêver ! 🙂
    Effectivement l’idée de mettre en avant un souvenir heureux contrebalance la grisaille évoquée par le photo. Je l’ai interprété ainsi aussi 🙂

  • Leiloona

    Ce devait être clairement quelque chose un concert des Pink Floyds ! ♥♥♥

    J’ai bien aimé le rattrapage de ta boulette orthographique aussi ! 😉

  • Nath

    Passer du noir et blanc à la couleur …
    Après lecture, on revient à la photo et là, tout à changer. On imagine la scène, le public, le son, c’etait là

  • Nath

    Passer du noir et blanc à la couleur …
    Après lecture, on revient à la photo et là, tout à changé. On imagine la scène, le public, le son, c’était là

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